petites chroniques de l'album...
Sound Of Violence Le 22 septembre 1958 apparaissait sur les petits écrans américains Peter Gunn, nouvelle série empreinte de l'ambiance des films noirs. Outre la grande performance d'acteur de Craig Stevens, ce qui retiendra les spectateurs seront les trente première secondes de chaque épisode. Un générique sobre, sombre, quasi insignifiant s'il n'y avait pas la musique signée Henry Mancini. Ce grand compositeur (il a travaillé notamment sur les musiques de Victor/Victoria, La Panthère Rose et Drôles de Dames) ne se doutait certainement pas ce jour-là qu'il venait de poser un pied dans l'histoire du rock'n'roll avant de mettre le deuxième des années plus tard dans la tombe. Les plus grands groupes, de Pulp aux Cramps et Blues Brothers, de Hendrix à ELP et Art of Noise, ont repris ce thème et en ont fait un standard rock. Car plus qu'une énième suite de notes percutante, cette mélodie en apparence simpliste possède le timing parfait sur lequel chaque groupe s'appuiera – tout comme Nirvana formera les groupes des années 2000 grâce au rythme syncopé de Smells Like Teen Spirit. Le lien avec The Horrors ? Jack The Ripper, qui ouvre Strange House. La basse, lourde, déploie la ligne de Peter Gunn en boucle derrière le chant torturé de Faris Badwan avant de lui offrir une nouvelle fraîcheur en accélérant subitement le rythme. Martelée, réorientée, redéfinie, la basse donne le ton sur ce morceau, le plus intense de l'album. The Horrors viennent d'annoncer la mort du rock'n'roll et peuvent ainsi passer à autre chose, ces deux minutes trente enfiévrées n'étant que le hall d'entrée qui permet l'accès à l'univers dérangé du groupe.
The Horrors hantent alors leur garage d'un psychédélisme bordélique, car derrière cette façade électrique, au premier abord presque métal, se fondent des claviers pas avares en effusions dégoulinantes de mauvais goût. Un mauvais goût délectable poussé à l'extrême parfaitement maîtrisé et, surtout, assumé. Des Cramps en transe sur le dancefloor carrelé de la cuisine (Count In Fives, Death At The Chapel) à des Sex Pistols sautillant en tutus roses sur le lit (She Is The New Thing, Draw Japan), des Clash qui se taillent les veines dans la salle de bain (A Train Roars, Excellent Choice, Gil Sleeping) à des Stranglers sous acide après le dernier épisode de Lost, un soir de pleine lune, assis sur le canapé entre Jackie Chan et une fan de Razorlight (Sheena Is A Parasite, Little Victories, Gloves), les pièces de Strange House possèdent une atmosphère morbide où les extravagances kitsch sauvent les meubles et soutiennent miraculeusement les compositions. On n'a donc ici pas affaire à un groupe gothique ou hard-rock comme peuvent le laisser présager leur teint blâfard, leurs coupes de cheveux grotesques et même les premières écoutes peu engageantes de Strange House. The Horrors sont en marge de la hype et de tout ce fluo qui s'empare peu à peu des rayons de disques. D'ici à ce que nos cinq Manson au nez rouge deviennent les chefs de file d'un mouvement disco-goth, il n'y a qu'un pas.
K-Web
En témoigne la dégaine pas piquée des hannetons du quintet londonien de The Horrors : coiffures à la Mireille Mathieu sous ecstasy, maquillage outrancier à faire passer Robert Smith pour un (gros) lapin albinos, et garde robe directement récupérée dans le caveau familial du comte Dracula. Une combinaison à priori suprêmement énervante si elle n'était pas couplée à une indéniable qualité musicale. Parce qu'avant d'être une usine à vendre des chemises à jabots et des vestes edwardiennes en velours rouge à des cohortes d'adolescents en recherche d'identité, The Horrors est surtout une véritable machine à tubes sombres, déglingués et venimeux. On se surprend à hurler à la lune et à onduler convulsivement, telle une armée de zombies unijambistes, sur les Jack The Ripper, Draw Japan, Count In Fives, Gloves, Little Victories, Sheena Is A Parasite et autres Thunderclaps. Le mérite en revient à une relative originalité dans la combinaison d'influences (les productions Hammer, le garage rock des sixties, The Cramps), ce qui se doit d'être souligné en cette époque où les teenagers ne jurent plus que par les frasques de Pete Doherty, et à un non moins excitant assemblage d'instruments boiteux, sauvages et définitivement crapuleux (Frankenstein et sa créature n'est pas loin): orgue bancal et baveux, riffs de guitare rêches et claquants comme des fouets et section rythmique parkinsonienne sur fond de vociférations d'amputé sans anesthésie et de chœurs blafards. Teigneux et imparable.
Ajoutés à cela des prestations live cataclysmiques et le retour du grand Chris Cunningham, expressément sorti de la grotte dans laquelle il vivait reclus pour réaliser le clip de Sheena Is A Parasite : on en viendrait presque à sortir les dents de vampire Haribo du placard et à signer la mailing list du groupe d'une giclée de concentré de tomates. Car même si c'est un peu bas de plafond, parfois fin comme un recueil de blagues de Guy Montagné et un brin répétitif sur la longueur, c'est, au final, sang pour sang de pur plaisir immédiat.
|